Pour écrire Les nouveaux venus, Aurélie Castex a passé une année en immersion dans une classe spéciale de l’école publique pour des enfants qui ne parlent pas le français. Elle livre une bande dessinée documentaire, riche d’enseignements sur les différences des cultures et l’intégration, également porteuse d’un message politique qu’il devient urgent d’entendre.
Une carte des pays du monde, dessinée par l’autrice, ouvre le livre sur une double page. Des petits papiers de couleur ont été collés sur le planisphère bleuté. Ils présentent, par leurs prénoms, une douzaine d’enfants de toute la planète : Hosni, Prisha, Afo et son frère Abdou, Viktor… Ils ou elles sont né⸱es en Tunisie, en Inde, en Côte d’Ivoire, en Serbie, etc. et se sont retrouvé⸱es en école élémentaire dans la classe de Sophie en UPE2A (unité pédagogique pour les élèves allophones arrivants) où l’Éducation nationale leur fait bénéficier d’un dispositif d’aide à l’apprentissage du français. Leur destin n’a pas toujours été drôle, souvent difficile – certains ont risqué leur vie – mais pas forcément tragique. Ces enfants ont cependant vécu l’expérience de la majorité des exilé⸱es : la « folle tristesse » et les « frissons au cœur » de quitter son pays d’origine, une partie de sa famille, des amis, et l’espoir d’arriver dans un pays d’accueil (« c’était un rêve d’être ici »). Comme le résume Abdou : « En fait je suis les deux, je suis triste et je suis content ».
Révélatrice de la société française, écartelée entre racisme séculaire et mélange des cultures, peur de l’autre et compréhension bienveillante, repli sur soi et ouverture au monde, l’école reproduit les faiblesses et les noblesses d’un monde d’adultes en proie au doute et tiraillé par ses démons. Écoutons la petite Afo : « Au début, il y avait des gens, ils étaient grave méchants avec moi parce que pour eux je ne parlais pas le français. Il y en a qui vont se mettre à l’écart de toi, ils ne vont pas te parler. Il y en a ils vont mal te regarder. » L’« incroyable » classe de Sophie, c’est tout autre chose ! Pendant un an, l’autrice s’est immergée dans la vie de cette école publique qui accueille ces enfants ne parlant pas la langue de Molière. « Pas de misérabilisme, juste l’exposition de situations souvent extraordinaires qui parcourent cette année scolaire ordinaire », souligne Didier Pasamonik pour le site ActuaBD. « L’ouvrage se termine par un plaidoyer de soutien à une filière qui manque de moyens – et pourtant si nécessaire si l’on souhaite intégrer décemment tous ces enfants qui seront un jour ou l’autre des citoyens de la France. »
Et pour cela, Sophie, enseignante à l’investissement sans faille, possède la solution : « La clé, c’est l’empathie, se mettre à la place de l’autre ». Au fil des pages, on découvre, au-delà du simple apprentissage de la langue (déjà tout un programme !), l’astuce, la bienveillance et la gaité avec lesquelles elle s’occupe de ces petits élèves et leur apprend en particulier à accepter et dépasser leurs différences de culture. Ce sera souvent autour de choses simples comme les courses et la cuisine, la préparation d’une fête, l’organisation d’une classe découverte ou d’une sortie scolaire… Sans cesse, l’enseignante et ses collègues aident, soutiennent, motivent « pour que chacun puisse avoir sa chance ». Mais l’action de Sophie dépasse le simple cadre de ses missions : face à des situations parfois très complexes et urgentes (une famille expulsée de son logement se retrouve à la rue, un père ne vient pas chercher ses enfants car, arrêté en situation irrégulière, il est bloqué au commissariat…), elle se bat corps et âme, quitte à prendre des risques.
Aurélie Castex, ancienne élève des Arts décoratifs de Paris, partage son travail de dessinatrice entre la littérature jeunesse – avec des titres comme C’est pas moi c’est mes doigts (des croquis en couleurs « pour faire du bien à tous les parents », Marabout, 2018) ou À chacun son chat (un de ses livres de coloriage, Marabout, 2017) –, le dessin de presse (Elle, Le Parisien, Vogue Japan, etc.), l’identité visuelle et diverses illustrations (Chaumet, L’Occitane en Provence, L’Hôtel Particulier Montmartre, Le Grand Palais, etc.). Son dessin (encre, aquarelle et crayons de couleur), toujours léger, tendre et pertinent, mêle onirisme et humour. On lui doit en particulier une merveilleuse adaptation d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll (Éditions du Chêne, 2020), un album magnifiquement illustré, animé par des découpes au fil des pages… Récemment, elle s’est lancée dans la bande dessinée documentaire avec Terre ferme sur l’univers des paysans normands pour aborder les questions environnementales et économiques (avec Élise Gruau, Marabout, 2021).
Avec Les nouveaux venus, Aurélie Castex livre un témoignage utile à l’histoire sociale contemporaine. Dans son ouvrage, grâce à ces enfants auxquels on s’attache rapidement, l’immigration apparait dans sa plus profonde humanité, sans artifice ni effets spéciaux, loin des fantasmes et des peurs. Alors qu’un jour, à l’occasion d’une dispute entre deux élèves, la classe évoque la traduction du mot « paix » dans les différentes langues du monde, Sophie convoque le métissage de la langue : « Oui, les mots voyagent avec les gens ». L’autrice nous montre le pouvoir de l’empathie, une leçon bien utile pour nombre d’adultes mais aussi un bel exemple pour de plus jeunes lectrices et lecteurs qui viennent de faire leur rentrée dans des classes souvent baignées de mixité sociale et de différences. L’ouvrage délivre également un message politique. L’immersion sur le terrain a permis à Aurélie Castex de découvrir « les limites de ce que peut apporter une école en manque de moyens » : les conditions de travail de Sophie sont difficiles, pas de psychologue, une infirmière pour 2 500 élèves, un médecin pour vingt écoles, des collègues non remplacés, des agents d’entretien en sous-effectif… Le message est clair : « Il est urgent de trouver les moyens pour revaloriser les métiers au sein de l’école publique, pour soutenir les équipes enseignantes et accompagner au mieux les élèves ». À bon entendeur…