Justin Sykes, avocat commis d’office, s’occupe habituellement des petits malfrats malchanceux de Philadelphie lorsque un jour on lui propose mille dollars de l’heure pour offrir ses services juridiques à des danseuses nues sur leur lieu de travail. Cela paraît louche ; ça l’est. Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques, roman très réussi de Iain Levison, raconte comment et pourquoi, tout en nous faisant rire jaune des (réelles) absurdités et injustices du système judiciaire américain.
Iain Levison, né en Écosse et citoyen américain, n’est pas novice dans la critique de son pays, « un empire, dit-il, en déconfiture ». Il a commencé sa carrière d’écrivain avec Tribulations d’un précaire (2002), récit des petits boulots qu’il a exercés et vision ironique du traitement que l’Amérique inflige à ses travailleurs pauvres. Il a poursuivi avec des romans combinant étude de mœurs et polar, et ajouté au thème de l’exploitation et de la relégation d’une partie de la population celui des dysfonctionnements du système politique, de l’armée et de la justice. Un petit boulot (2003), Pour services rendus (2018), Un voisin trop discret (2021) ont ainsi adopté une forme dynamique, régie par le suspense, pour mettre en scène les réalités politiques et sociales actuelles d’un pays tristement dégrisé de son grand mythe démocratique. Pourtant, ses romans ne se départent pas d’un réjouissant humour noir, à l’œuvre une nouvelle fois dans Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques, son dernier et épatant opus.
Dans celui-ci, le héros désabusé mais naïf, Julian Sykes, y mène, on l’a dit, deux activités en parallèle, celle de son travail à l’aide judiciaire et celle, qu’on lui propose au début du livre, de conseiller juridique pour effeuilleuses. L’une et l’autre sont source de suspense. Dans le premier cas, on se demande si Sykes va obtenir une peine légère pour l’un de ses cinquante dossiers du moment, celui d’un sans abri alcoolique accusé à tort de violence contre des policiers. Les choses sont mal parties car le procureur avec qui, suivant la procédure, il doit négocier préalablement les peines s’obstine à réclamer pour le malheureux six ans de prison. Pourquoi ? On le comprendra vite, et on verra qu’une combinaison de hasards, et non son talent, permettront à Sykes de tirer son client d’affaire. Au passage, on en apprendra beaucoup sur l’aberration d’une justice irrationnelle, diverse suivant les États, soumise aux intérêts particuliers de ceux qui la rendent (et aux aléas des élections puisque juges et procureurs sont élus), impitoyable pour ceux qui n’ont pas les moyens de la contourner ou de s’arranger avec elle. « Le système, fait savoir Sykes, n’obéit qu’à une seule et unique règle : l’injustice ne peut être flagrante ». Entre-temps, on aura beaucoup souri.
La seconde et éphémère activité de Sykes, le conseil juridique de professionnelles du « lap dancing », va le plonger dans le vrai monde de la criminalité, mais il lui faudra tout le livre pour comprendre de quelle manière. En effet, passer une heure dans un night club à ne rien faire, puis séjourner une nuit dans un motel, à proximité, afin de recevoir mille dollars, le lendemain, dans la boîte à gants de sa voiture, ne semblent pouvoir constituer a priori aucun délit (sauf peut-être de frauder le fisc). Erreur ! On apprendra avec lui les dessous sinistres de son alléchant contrat. Entre-temps, on aura frissonné.
Comme les autres romans de Iain Levison, Les stripteaseuses ont besoin de conseils juridiques est bien mené et rempli d’une fantaisie qui rappelle celle de certains films des frères Coen, en moins grinçant. Il partage avec eux le goût du burlesque et du saugrenu, le talent pour mettre en scène stupidité, mensonge et hypocrisie, le scepticisme vis-à-vis des prétentions humaines de maîtrise, et un grand pessimisme quant à de quelconques possibilités de vérité et de justice. À lire !