Un roman de consolation

C’est un nom, Coué, qui dit quelque chose à personne et à tout le monde. Quand on lui accole un prénom, Émile, il semble être tombé dans l’oubli. Et quand on le leste d’un certain substantif, c’est comme l’effet d’un flash. Dans son deuxième roman, La vie meilleure, Étienne Kern brosse un portrait plein d’empathie d’Émile Coué, l’inventeur de la méthode éponyme.

Étienne Kern | La vie meilleure. Gallimard, 192 p., 19,50 €

Il y en a quand même qui font la sourde oreille, tel le petit Kern : « Coué, je ne saurais dire exactement quand j’ai fait sa rencontre. La première fois, je crois, c’était au collège. Une enseignante prononce ces mots : méthode Coué. Je comprends méthode Quies. Je réfléchis un peu, j’imagine, on se bouche les oreilles, sans doute. Un camarade se moque de moi, m’explique, c’est répéter tout va bien, tout va bien. »

Depuis, l’auteur (par ailleurs collaborateur d’En attendant Nadeau) s’est rattrapé, il a remonté le temps perdu, oublié, oublieux presque. S’est pris de passion pour un personnage, mi-charlatan mi-démiurge, qui, au tournant du XXe siècle, défraya la chronique. A commencé de regarder des images du bonhomme sur internet, de « vieilles photos, l’air d’un clown triste, de la tendresse dans son regard ». Et puis c’est parti, le film tourne sans lui, à la vitesse de l’imagination, la vie, pas encore meilleure, commence de se dérouler, comme un film muet qui se serait mis à parler, là sous nos yeux : Émile Coué à Troyes, alentour des années 1860 : « Il a quatre, cinq ans peut-être… Il y a sa mère, Catherine, encore toute jeune. Il y a son père, Exupère, quarante ans passés, le visage dur ». Émile Coué se marie, avec Lucie, le 30 août 1884. Émile Coué ouvre une pharmacie. S’en va du côté de Nancy. La vie n’est toujours pas encore meilleure, elle n’est même pas tendre du tout, quand Lucie perd l’enfant qu’elle attend. Un médecin confirme, « sourit froidement, serre la main d’Émile d’un geste sec. / Madame s’en remettra. »

Etienne Kern, La vie meilleure
A droite, le docteur Émile Coué reçu aux Etats-Unis (1923) © Gallica/BnF

Enfin, entretemps, un jour, Émile Coué découvre les pouvoirs de la suggestion. Une première fois quand il expérimente ce que l’on n’appelle pas encore l’effet placebo, une femme réclame du laudanum, elle n’a pas d’ordonnance. Il mélange de l’eau distillée, du sucre et du colorant : « Attention c’est très dangereux, deux gouttes maximum. » Le remède est mieux qu’un remède : une « merveille ». Une seconde fois, quand il « guérit » Annette. Elle a perdu l’usage d’un bras, d’une jambe : « Hémorragie cérébrale, paralysie latérale. » Coué se rend à son chevet. Alors commence l’impensable : les paroles prononcées, une promesse, mais pas plus : « Tu n’auras rien à faire. Tu devras juste imaginer, comme dans un rêve… Parfois je prendrai ma montre et je la ferai bouger devant tes yeux.  À chaque fois tu iras mieux. À chaque fois tu te diras : Je vais guérir tout à fait… » et ça marche. Et elle remarche. La méthode Coué est née. Le reste est littérature, question d’affiner le procédé, en préciser les codes, échanger avec des spécialistes. Le succès va grandissant, la reconnaissance, sinon de ses pairs (et quels pairs d’ailleurs ?), du moins d’un public toujours plus nombreux, médusé, crédule et conquis. La méthode devient enfin Méthode : « La Méthode, ce n’est pas l’hypnose, ni même en soi, la suggestion. La Méthode c’est passer le flambeau. C’est dire aux gens : Soyez vous-même votre petit Émile. Oubliez-moi. Venez voir comment ça marche puis allez et vivez. » Trop simple ? Simpliste ? Comme une hypothétique résilience avant la lettre ? 

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La littérature n’a guère épargné la figure du médecin, infatué, ignare, quand il n’est pas tout bonnement qualifié d’imbécile (souvenez-vous seulement de Charles Bovary, de Cottard). Au vrai, les griefs contre la profession ne sont pas infondés, il se raconte qu’il faut parfois de la chance pour tomber sur un bon médecin « dans la vraie vie »… Coué n’est pas médecin, et il n’est pas un imbécile. C’est tout ce que démontre, finement, le roman de Kern : Coué est peut-être un charlatan, dixit son père, mais derrière le charlatan, il y a un homme attachant, un homme qui aime parler aux autres hommes, ou plus précisément qui aime celui ou celle à qui il parle ; pour le dire autrement, Coué est humain, très humain : « Qu’a-t-il à leur offrir ? Pas de miracles, en vérité. Il n’en promet pas d’ailleurs, il répète souvent ça : dans la limite du raisonnable. La Méthode ne guérit pas les cancers, ne répare pas les os. Elle vient en plus…. La plupart des malades acceptent, ils comprennent. Qu’attendent-ils, au fond ? Ce que nous demandons aussi, peut-être, à nos guérisseurs de tout poil et, parfois, à nos médecins : un regard d’attention. » 

Coué a « fréquenté » des sommités de l’époque, est allé voir du côté de l’hypnose, n’était sans doute pas insensible à la psychanalyse naissante, il a butiné ici ou là, pour construire une science au bord de la science. La morale de cette histoire ? Elle ne réside pas tant dans la guérison que dans le soin, voire le « prendre soin », ce care dont on parle tant aujourd’hui. D’une certaine manière, avec Coué, prendre soin, parler, écouter, c’est déjà guérir un peu. Dominique, sophrologue, qui a fondé l’association « Sur les pas de Coué », ne dit pas autre chose : « La Méthode ne guérit pas, elle accompagne. » Oui, on dirait parfois que la Méthode parle tout seule… Et si c’était vrai ? De toute façon : « La vie est plus douce quand on la vit avec des mots. »

Telle attention portée à l’autre est une qualité que partage l’auteur de La vie meilleure avec son « sujet ». Quand il évoque les « malades » de Coué, les grands blessés, les anxieux, les insomniaques, les énervés, l’empathie n’est jamais loin. À fleur de peau est-il. Mais c’est surtout quand il « croise » l’histoire de sa marraine et de son parrain, Irène et André, avec celle de Coué que le livre prend une autre dimension, encore une fois, humaine. Le couple a perdu un enfant, renversé par un camion, alors qu’il n’avait pas cinq ans. La manière dont la mère a traversé la vie en portant le « deuil » de cet enfant force le respect, voire l’admiration : « Elle avait sa propre méthode, Irène. Elle attendait les écureuils et les renards. Elle savait cueillir la joie, tous les jours, à tous points de vue. Et si la joie était partie, elle s’en inventait une. » Et c’est bien, d’une certaine manière, le sens qu’il faut aussi et d’abord donner au roman d’Étienne Kern.