Parmi les publications de 2024, il y a eu de belles réussites et, avant de passer à celles de 2025, on peut choisir de sourire avec l’Espagnol Marto Pariente ou l’Italien Piergiorgio Pulixi, et de rester sérieux avec le dernier roman de l’Écossais Liam McIlvanney ou celui de l’Américain Michael Connelly.
Avec Retour de flamme, Liam McIlvanney emmène à nouveau (après Le quaker) le lecteur à Glasgow dans les années 1970. La ville s’y trouve à un moment particulier de son histoire sur le plan urbanistique (on éventre son centre victorien pour faire passer des autoroutes), politique (les troubles irlandais y ont de graves retentissements) et social (des gangs puissants contrôlent des quartiers, les divisions entre pauvres et riches sont considérables). Le travail de la police est rude, rudement mené, et peu règlementé. L’inspecteur Duncan McCormack doit faire ici la lumière sur un incendie, des meurtres, un attentat : sont-ils dus à une guerre entre malfrats, à une vengeance contre certains politiciens affairistes, ou à un acte terroriste de l’IRA ?
Enquête et peinture d’atmosphère vont de pair dans ce Retour de flamme rempli d’action et de cadavres où figurent le lot de personnages stéréotypés dont le genre est familier, mais aussi McCormack, policier plus complexe que la moyenne de ses semblables de papier, ne serait-ce que parce que, dans le contexte intolérant du Glasgow des années 1970, il est, lui, catholique, originaire des Highlands (il parle le gaélique), secrètement homosexuel… Cet efficace « tartan noir » – appellation anglaise pour le roman policier écossais – n’hésite cependant pas devant la longueur, tendance fâcheuse du polar actuel. Pourtant, « less is more », non ?
Dans Sans l’ombre d’un doute, Michael Connelly réunit à nouveau ses deux héros los angelinos Harry Bosch et Mickey Haller – retrouvailles réussies puisqu’elles donnent lieu à un très bon polar, à la fois roman d’enquête et roman « de tribunal ». Harry Bosch, ancien inspecteur du LAPD, est à présent associé à Mickey Haller, surnommé « l’avocat à la Lincoln » car il travaille dans sa voiture (une Lincoln) plutôt que dans son bureau. Haller s’étant fait un nom dans un procès contre l’État de Californie pour condamnation abusive, il se trouve maintenant submergé de demandes de détenus souhaitant que soit prouvée leur innocence. Bosch, lui, a la charge d’être occasionnellement son chauffeur, de l’aider à sélectionner parmi les nombreuses requêtes les cas susceptibles de révision, et d’effectuer le travail d’enquête que l’affaire choisie nécessite ensuite. L’attention de Bosch est retenue par la lettre d’une femme emprisonnée depuis cinq ans pour le meurtre de son ex-mari, adjoint du shérif d’un comté de Los Angeles. L’affaire semble avoir été montée de toutes pièces par les collègues de l’ex-conjoint et les aveux illégalement obtenus.
Le dévoilement de la vérité concernant les faits et, surtout, les péripéties judiciaires de Sans l’ombre d’un doute montrent Connelly au meilleur de sa forme. Tandis que Bosch et Haller ne ménagent pas leur peine, c’est peut-être la juge Coelho, vacharde mais juste, qui gagne ici le cœur des lecteurs grâce à son indiscutable autorité et son superbe maniement des astuces de procédure. Marto Pariente, espagnol, contrairement au sérieux Connelly, « fait » dans l’humour. Dans La sagesse de l’idiot, son premier roman traduit en français, il choisit pour héros et narrateur Toni Trinidad, un homme un peu simple, unique policier du village d’Ascuas aux environs de Guadalajara. Toni ne porte jamais d’arme, s’évanouit à la vue du sang et a pour principale activité de surveiller la circulation à la sortie de l’école. Certains membres du conseil municipal attendent la première occasion pour supprimer son poste.
Bien sûr, ce faux imbécile va se trouver devoir résoudre de graves problèmes : la mort suspecte d’un de ses amis, les menaces qui pèsent sur sa sœur, propriétaire d’une casse automobile qui, sans bien mesurer ce qu’elle faisait, a dérobé une cargaison de drogue à un dangereux trafiquant. Débarquent alors gangsters, tueurs à gages et promoteurs immobiliers, tous plus affreux les uns que les autres. Fini, la tranquillité pour Toni ! Il sortira évidemment vainqueur de cette meurtrière embrouille, rocambolesque certes, mais non dénuée d’une perspicace touche sociale.
Tout comme La sagesse de l’idiot de Marto Pariente, La librairie des chats noirs de l’Italien Piergiorgio Pulixi, se lit avec le sourire. Soit une librairie spécialisée dans les romans policiers à Cagliari (Sardaigne), le propriétaire mal embouché de celle-ci, deux chats noirs (miss Marple et Poirot), un club de lecteurs composé de quatre membres qui s’y réunit pour décortiquer des livres mais va se lancer, à la demande de la police, dans la résolution des « vrais » crimes dans la « vraie » vie.
Le charme du livre vient des enquêteurs amateurs eux-mêmes (le libraire, un moine, une retraitée, une jeune gothique, un vieil homme distingué), de son utilisation de la tradition du polar à l’ancienne (malgré la présence de quelques formulations et situations peu distanciées), de l’atmosphère locale. Tout cela fournit un environnement sympathique à une enquête qui tente de prendre de vitesse un tueur au modus operandi étrange et aux intentions mystérieuses. La librairie des chats noirs se lira en dégustant un de ces vins sardes dont les cinq Sherlock Holmes improvisés se délectent à chaque réunion ; tenez, par exemple, un cannonau de la cantina Sardus Pater de Sant’Antioco !