Oraisons funèbres 

Récit étrange de deuil et d’un dialogue qui achoppe constamment, le premier roman de Julien Perez, pour constituer une réelle proposition littéraire, n’en échoue pas moins à aborder dans toutes leurs conséquences les enjeux qu’il se propose de soulever.

Julien Perez | Hommages. P.O.L, 376 p., 22 €

Dans son roman, Julien Perez réduit la trame narrative à son minimum. Point ici de narrateur ni de focalisation externe. Un homme est mort, il s’appelait Gobain. Cela, c’est Farah qui nous l’apprend, la première locutrice. Tout commence comme un roman classique : la narratrice est convoquée par la police suite à la disparition d’une personne avec qui elle avait perdu contact. Encore un peu et nous serions dans une variation du dernier roman de Maylis de Kerangal, Jour de ressac. Mais la confusion ne tient que quelques lignes durant. Dès la première page, un « tu » apparaît, le ton se fait plus oratoire, rapidement un nouveau prénom découpe la page, succédant à celui de Farah.

Hommages contient la totalité de son programme dans son titre : il s’agit d’un recueil d’oraisons funèbres adressées au même disparu, et ce pendant presque quatre cents pages. Il est louable de proposer un premier roman qui veuille d’emblée rompre avec la matrice formelle du genre, à savoir la trame narrative, matrice encore bien prégnante et, surtout, trop souvent automatique.

Si, au fond, toute biographie trahit la vie qu’elle retrace, c’est parce qu’elle impose un ordre, une causalité d’événements. Toute biographie, d’une certaine façon, est hagiographique puisque, la manière des vies de saints, elle contient, presque malgré elle, dès le début, la vocation de son personnage. Julien Perez revient certes sur la vie de son personnage – fictif – mais la forme des « hommages » fragmente à l’extrême la figure et la vie de Gobain.

La forme recueil subvertit le roman d’une seconde manière. Tout roman est a priori linéaire. Même ceux dont la temporalité est la plus escamotée. Tout roman se lit du début à la fin. C’est d’ailleurs le réflexe qu’aura chaque lecteur d’Hommages, réflexe sensé puisqu’on peut supposer que l’ordre des locuteurs n’a pas été choisi au hasard par Julien Perez. Il y a d’ailleurs un changement final et la succession des hommages se mue en dialogue qui tourne à la scène de théâtre où s’intercalent des didascalies, preuve que le récit s’achemine quelque part. Cela étant, rien n’empêche de lire les témoignages dans un ordre autre.

Julien Perez | Hommages
« Pleine lune au dessus de l’eau », William Turner (vers 1823) © CC0/Tate Museum

De Gobain, il nous est dit : « Il se croyait voué à ne pouvoir s’affirmer que par ellipses, signes épars, énigmatiques, déléguant à ses interlocuteurs désorientés l’affront de ses propres manquements, lacunes et limites. » Cette phrase est programmatique tant le portrait du personnage se veut énigmatique et tout en ellipses.

Tout cela est réjouissant sur le papier mais le roman de Perez ne parvient pas à convaincre sur la longueur. Force est de constater que le dispositif narratif s’avère répétitif et assez vain. Le caractère anecdotique de chaque prise de parole ne permet pas une saisie pleine des personnages et de leur milieu. Ainsi, le flou, volontairement entretenu, en tout cas au début, autour de Gobain, tourne à vide.

Il s’agit a priori d’un artiste plasticien et écrivain, mais il pourrait exercer une profession totalement autre que le roman n’en serait pas bouleversé en profondeur. De même, plusieurs des prises de parole de certains personnages pourraient avoir été insérées là mais concerner une tout autre personne que celle qui pourtant doit offrir au roman son point focal. Notons, par exemple, la mention d’une cérémonie au Centre Pompidou, sans plus de précision et suivie de considérations assez banales sur l’art contemporain qui n’intéresserait personne, ne serait qu’une vaine spéculation, sans pour autant que ces thématiques soient travaillées en profondeur et dans toutes leurs conséquences. On se dit que tout ceci doit revenir à une critique acerbe du monde de l’art contemporain. Mais à la lecture, la critique proposée par le roman semble assez superficielle et caricaturale, caricaturale précisément parce que superficielle.