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Journal de la littérature, des idées et des arts 05/07 – 11/07 2023
En attendant Nadeau
Une érotique de la parole
Cinquième ouvrage de Simon Johannin, Le dialogue est un texte inclassable génériquement, qui propose une exploration complexe et touchante des sentiments et du corps à travers un échange amoureux entre deux voix à l’identité inconnue. L’écrivain y propose un travail toujours plus poussé sur la langue et les sensations.
Éditorial
Prendre soin de la colère
Sommaire
Écrire une histoire qui tue
Najla Nakhlé-Cerruti
Henri Colomer
Batia Baum, la nécessité de la traduction
Batia Baum, enseignante et traductrice du yiddish, est décédée le 24 juin dernier. Son amie Carole Ksiazenicer-Matheron lui rend hommage en nous rappelant son rapport au yiddish, sa pratique extraordinaire de la traduction, son rôle essentiel dans la survie de cette langue et dans le passage par son truchement d’œuvres d’une grande diversité.
Filmer Batia Baum
En parallèle de l’hommage personnel que Carole Ksiazenicer-Matheron rend à son amie Batia Baum, traductrice du yiddish qui vient de disparaître, EaN vous propose de regarder une section du film d’Henry Colomer intitulé Talismans qui lui est consacrée. On y découvre la traductrice au travail, avec d’autres, en lectrice aussi, qui partage une langue complexe et des textes bouleversants.
L’apocalypse est poétique
Reprenant les codes du récit apocalyptique, Une météorite nommée désir, deuxième roman de Lucien Raphmaj, se déroule dans une atmosphère caniculaire où le réel est contaminé par des projections imaginaires. L’auteur propose une version poético-métaphysique de la fin du monde annoncée par la chute prochaine d’une météorite révélant la possibilité d’un renouveau.
« La justice au charbon »
La mine en procès dirigé par l’historien Philippe Artières est d’abord un bel objet, un riche recueil d’archives et d’illustrations, qui décrit et précise la manière dont la catastrophe, qui eut lieu le 4 février 1970 à Fourquières-lès-Lens, et les luttes auxquelles elle donna lieu, ont changé radicalement les modalités de la contestation sociale telle qu’elle s’était déroulée jusque-là dans les bassins miniers français.
Un sépulcre pour Sabra et Chatila
Sandra Barrère explore les représentations littéraires et artistiques du massacre de Sabra et Chatila en 1982, à Beyrouth. Écrire une histoire tue fait partie d’un vaste projet de réhabilitation de la mémoire de cet événement tu. Au-delà de l’entreprise mémorielle, elle interroge les « poétiques de Chatila » à partir d’un corpus inédit et original de tous les horizons. L’analyse poétique d’un tel objet donne enfin lieu à une profonde réflexion sur les fonctions politiques, ou la politicité du poétique.
Joy Williams rompt le silence
Tourment, premier roman de Joy Williams depuis plus de vingt ans, confirme qu’elle compte parmi les écrivains américains les plus importants. Le livre raconte l’errance d’une adolescente dans un paysage dévasté pour arriver à l’Institut, un vieux village de vacances à côté d’un lac putride où une poignée de retraités décrépits planifient des actes terroristes.
Spectres de Napoléon
Le retour de Napoléon au pouvoir est l’une des aventures politiques les plus incroyables de notre histoire. Après l’abdication et la seconde restauration, pendant trois ans au moins, le pays ne cessa de bruire de rumeurs annonçant le retour de l’Empereur : expression d’une forte insatisfaction à l’égard du régime imposé par les alliés, qui les réprima d’autant plus durement qu’il se sentait moins enraciné. C’est ce Bruit public que restitue aujourd’hui l’historien François Ploux.
Fritz Zorn ranimé
La retraduction de Mars par Olivier Le Lay, près d’un demi-siècle après sa parution, se fait dans un contexte très différent alors que s’exprime à nouveau un peu partout l’espoir d’une société plus juste, plus égalitaire, plus respectueuse de l’individu et de ses choix. Dans ce nouveau paysage social et littéraire, le brûlot de Fritz Zorn méritait sans aucun doute d’être ranimé.
Le roman noir des comics
Les neuf textes d’Illuminations se déploient en un feu d’artifice d’inventivité et de chaos jouissifs. Ces fusées littéraires éclairent des mondes sombres, tissés de faux-semblants, de déclin et de conformisme. Alan Moore a installé au centre de son recueil un soleil noir, un astre sauvage et malade de 260 pages, à la fois fabuleuse histoire de l’industrie des comics et procès-verbal d’un échec créatif. Les huit nouvelles encadrant « Ce que l’on peut connaître de Thunderman » lui font écho par la récurrence des impostures et de la vampirisation des artistes.
De Kiev à Odessa
Dans Rendez-vous à Kiev, Philippe Videlier raconte les vingt premières années du XXe siècle dans la capitale de l’Ukraine. Il le fait en combinant histoire et littérature selon la méthode singulière qu’il a déjà adoptée dans Dernières nouvelles des bolcheviks en 2017 ou dans Rome en noir en 2020. Le résultat est une nouvelle fois captivant.
Quand la violence devient discours
On considère souvent qu’Álvaro de Campos est le plus « moderniste » et le plus « audacieux » des doubles de Fernando Pessoa. La nouvelle traduction de son célèbre poème final Ultimatum constitue l’occasion de se replonger dans une œuvre majeure de la poésie lusophone, d’en saisir la violence et d’en dépasser les lectures univoques.
Un universel à éprouver
Dans L’universel après l’universalisme. Des littératures francophones du contemporain, Markus Messling formule le constat d’une « implosion de l’universalisme » hérité des Lumières en analysant la tension entre les idéaux promus et le fait colonial auxquels ils ont été liés.
Le soliloque disloqué de Jeroen Brouwers
Jeroen Brouwers est mort en 2022, si bien qu’il est tentant de lire Le client E. Busken comme un récit testamentaire ou autobiographique. Le livre est un fleuve, un long monologue intérieur émanant de la conscience d’un homme âgé, abîmé par l’alcool et la cigarette qui lui sont interdits depuis qu’il est enfermé dans l’unité sécurisé de la Maison Madeleine. Alors il enrage, observe, se souvient, délire, rit, se rebelle. Dans quelle mesure est-il le double de Jeroen Brouwers, Néerlandais né en 1940 à Batavia (Djakarta), personnage, polémiste, « grand écrivain », etc. ? À cette question nous ne répondrons pas vraiment, préférant insister sur d’autres aspects.
Regarder voir
Que se passe-t-il devant le tableau, la photographie, l’œuvre d’art contemporaine ? Laurent Jenny revient inlassablement à cette interrogation que l’observation des œuvres renouvelle toujours. La folie du regard est une étape de ce parcours critique érudit. Comme dans ses précédents ouvrages, à travers des analyses se dessine un certain rapport aux images, celui d’un savant se méfiant du trop de savoir. On retrouve avec une vraie joie la voix de l’auteur : jamais péremptoire, et unique, comme seule l’est celle des écrivains.
Il y a encore des choses à dire sur Tintin
Les îles noires d’Hergé de Ludwig Schuurman a une qualité évidente : démontrer clairement que dans l’univers des tintinophiles de tous poils, il y a encore des choses à dire. Son travail passionnant sur les différentes versions de l’album où l’on découvre l’infâme Docteur Müller, le gorille Ranko et les habitants taiseux de Kiltoch, ouvre des pistes sur la genèse de l’œuvre du dessinateur, la manière dont on la lit et rappelle que la bande dessinée est un art comme les autres.
L’Amérique, ça n’est pas rien !
Absolutely Nothing est la relation d’un voyage par la route à l’automne 2016 à travers les États-Unis, d’ouest en est, entrepris par Giorgio Vasta. Ce carnet de voyage décrit une expérience vécue intense, documentée par les photos de Fazel, que l’écrivain italien reconstitue sous la forme d’une succession non chronologique d’instantanés de lieux pour inventer une sorte d’anthropologie négative .
Le cas Nietzsche
Avec ce sixième tome de la Correspondance de Nietzsche, voici la fin de la traduction française de la monumentale édition de Colli et Montinari. Et aussi la fin du penseur lui-même. Après deux volumes, la traduction de ses centaines de lettres avait été suspendue durant une vingtaine d’années. Remercions notre ami Jean Lacoste de l’avoir menée à son terme. Grâce à lui est enfin couverte la petite quinzaine d’années durant lesquelles le porte-parole du cercle wagnérien devint Nietzsche.
« Ne pas grandir » : entretien avec Michel Valensi
Avec Patricia Farazzi, Michel Valensi a fondé les Éditions de l’éclat en 1985. Depuis, quelques centaines de titres parus ont construit un catalogue parmi les plus mystérieux et intrigants, qui, de la poésie à la philosophie analytique, de témoignages militants à la mystique médiévale juive, semble prêt à tout interpeller. EaN a longuement interrogé Michel Valensi pour déplier cette histoire de livres, d’éditions et de marges.