177

Journal de la littérature, des idées et des arts 05/07 – 11/07 2023

En attendant Nadeau

Couverture de Simon Johannin
Le dialogue de Simon Johannin © Allia

Une érotique de la parole

Cinquième ouvrage de Simon Johannin, Le dialogue est un texte inclassable génériquement, qui propose une exploration complexe et touchante des sentiments et du corps à travers un échange amoureux entre deux voix à l’identité inconnue. L’écrivain y propose un travail toujours plus poussé sur la langue et les sensations.

Éditorial

Prendre soin de la colère

Dans un entretien à lire vendredi 30, Michel Valensi, fondateur avec Patricia Farazzi des éditions de l’éclat, compare le travail de l’éditeur à celui d’un « curatore », soit celui qui soigne. Il se place donc au chevet des livres comme le médecin au chevet de ses patients, les écoute et leur prodigue ses « Premiers secours », nom de l’une des collections phares de la maison. Les textes à éditer, tels des corps, nécessitent d’être accompagnés et soignés dans un temps long mis en lumière dans cette conversation.

Sommaire

Sandra Barrère
Écrire une histoire qui tue
Najla Nakhlé-Cerruti
Batia Baum, la nécessité de la traduction
Henri Colomer
Portrait de Batia Baum issu du film Talismans d’Henry Colomer © Henry Colomer

Batia Baum, la nécessité de la traduction

Batia Baum, enseignante et traductrice du yiddish, est décédée le 24 juin dernier. Son amie Carole Ksiazenicer-Matheron lui rend hommage en nous rappelant son rapport au yiddish, sa pratique extraordinaire de la traduction, son rôle essentiel dans la survie de cette langue et dans le passage par son truchement d’œuvres d’une grande diversité.

Talismans d’Henry Colomer © Henry Colomer

Filmer Batia Baum

En parallèle de l’hommage personnel que Carole Ksiazenicer-Matheron rend à son amie Batia Baum, traductrice du yiddish qui vient de disparaître, EaN vous propose de regarder une section du film d’Henry Colomer intitulé Talismans qui lui est consacrée. On y découvre la traductrice au travail, avec d’autres, en lectrice aussi, qui partage une langue complexe et des textes bouleversants.

Lecture du jour
Voie lactée
Voie lactée / Bleue © CC BY 2.0/SomaKondo/Flickr

L’apocalypse est poétique

Reprenant les codes du récit apocalyptique, Une météorite nommée désir, deuxième roman de Lucien Raphmaj, se déroule dans une atmosphère caniculaire où le réel est contaminé par des projections imaginaires. L’auteur propose une version poético-métaphysique de la fin du monde annoncée par la chute prochaine d’une météorite révélant la possibilité d’un renouveau.

La mine en Procès de Philippe Artières
mine © CC BY 2.0. langfodw: Flickr

« La justice au charbon » 

La mine en procès dirigé par l’historien Philippe Artières est d’abord un bel objet, un riche recueil d’archives et d’illustrations, qui décrit et précise la manière dont la catastrophe, qui eut lieu le 4 février 1970 à Fourquières-lès-Lens, et les luttes auxquelles elle donna lieu, ont changé radicalement les modalités de la contestation sociale telle qu’elle s’était déroulée jusque-là dans les bassins miniers français.

Tyr, camp de Rachidie. Vue générale et vie quotidienne. Liban
Tyr, camp de Rachidie. Vue générale et vie quotidienne (1983) © CC-BY-SA-4.0/ Jean Mohr/WikiCommons

Un sépulcre pour Sabra et Chatila

Sandra Barrère explore les représentations littéraires et artistiques du massacre de Sabra et Chatila en 1982, à Beyrouth. Écrire une histoire tue fait partie d’un vaste projet de réhabilitation de la mémoire de cet événement tu. Au-delà de l’entreprise mémorielle, elle interroge les « poétiques de Chatila » à partir d’un corpus inédit et original de tous les horizons. L’analyse poétique d’un tel objet  donne enfin lieu à une profonde réflexion sur les fonctions politiques, ou la politicité du poétique.

Couverture bis de Tourment de Joy Williams
© Rivages

Joy Williams rompt le silence

Tourment, premier roman de Joy Williams depuis plus de vingt ans, confirme qu’elle compte parmi les écrivains américains les plus importants. Le livre raconte l’errance d’une adolescente dans un paysage dévasté pour arriver à l’Institut, un vieux village de vacances à côté d’un lac putride où une poignée de retraités décrépits planifient des actes terroristes.

Napoléon, Ploux
Un homme devant la mer © Jean-Luc Bertini

Spectres de Napoléon

Le retour de Napoléon au pouvoir est l’une des aventures politiques les plus incroyables de notre histoire. Après l’abdication et la seconde restauration, pendant trois ans au moins, le pays ne cessa de bruire de rumeurs annonçant le retour de l’Empereur : expression d’une forte insatisfaction à l’égard du régime imposé par les alliés, qui les réprima d’autant plus durement qu’il se sentait moins enraciné. C’est ce Bruit public que restitue aujourd’hui l’historien François Ploux.

Paint Wars IV
Paint Wars IV © CC BY-SA2.1/r2hox/Flickr

Fritz Zorn ranimé

La retraduction de Mars par Olivier Le Lay, près d’un demi-siècle après sa parution, se fait dans un contexte très différent alors que s’exprime à nouveau un peu partout l’espoir d’une société plus juste, plus égalitaire, plus respectueuse de l’individu et de ses choix. Dans ce nouveau paysage social et littéraire, le brûlot de Fritz Zorn méritait sans aucun doute d’être ranimé.

Alan Moore Illuminations, page de Watchmen
Watchmen © CC BY SA 2.0/Anna Jumped/ Flickr

Le roman noir des comics

Les neuf textes d’Illuminations se déploient en un feu d’artifice d’inventivité et de chaos jouissifs. Ces fusées littéraires éclairent des mondes sombres, tissés de faux-semblants, de déclin et de conformisme. Alan Moore a installé au centre de son recueil un soleil noir, un astre sauvage et malade de 260 pages, à la fois fabuleuse histoire de l’industrie des comics et procès-verbal d’un échec créatif. Les huit nouvelles encadrant « Ce que l’on peut connaître de Thunderman » lui font écho par la récurrence des impostures et de la vampirisation des artistes.

Histoire, mémoires et représentations des Juifs d’Odessa
Panorama d’Odessa (1925) © Gallica/BnF

De Kiev à Odessa

Dans Rendez-vous à Kiev, Philippe Videlier raconte les vingt premières années du XXsiècle dans la capitale de l’Ukraine. Il le fait en combinant histoire et littérature selon la méthode singulière qu’il a déjà adoptée dans Dernières nouvelles des bolcheviks en 2017 ou dans Rome en noir en 2020. Le résultat est une nouvelle fois captivant.

Couverture de Clio de Charles Péguy
© Flammarion

Deux saisons de la raison 

Quatre livres nous invitent à reprendre en arrière le mouvement du temps, nous transporter dans un moment où les jeux n’étaient pas encore faits et où il pouvait encore arriver à la raison des « aventures », non au sens galant de l’expression, mais plutôt dans celui des contes philosophiques du XVIIIe siècle, « où l’on voit la raison décliner ses saisons ».

Peinture de coeur avec fleurs
Howth (Ireland) (2018) © CC BY-SA 2.0/Urko Dorronsoro/Flickr

Un homme de cœur

Patrica Janody propose une lecture personnelle de Corps errants, cœurs malades du docteur Mohamed Anssoufouddine qui, après quatre années de spécialisation en cardiologie, à Dakar, revient dans son île natale, les Comores, avec un savoir-faire aiguisé et un appétit de soigner ses compatriotes.

Portrait de Fernando Pessoa
Julio Pomar Portrait de Fernando Pessoa (1983)Centro de Arte Moderna Manuel de Brito © CC BY 2.0/Pedro Ribeiro Simões/Flickr

Quand la violence devient discours

On considère souvent qu’Álvaro de Campos est le plus « moderniste » et le plus « audacieux » des doubles de Fernando Pessoa. La nouvelle traduction de son célèbre poème final Ultimatum constitue l’occasion de se replonger dans une œuvre majeure de la poésie lusophone, d’en saisir la violence et d’en dépasser les lectures univoques.

Tableau de Jan Voss - Markus Messling
Jan Voss Sans titre (1970) Centro de Arte Manuel de Brito, CAMB, Palácio dos Anjos, Algés, Portugal © CC BY 2.0/Pedro Ribeiro Simões/Flickr

Un universel à éprouver

Dans L’universel après l’universalisme. Des littératures francophones du contemporain, Markus Messling formule le constat d’une « implosion de l’universalisme » hérité des Lumières en analysant la tension entre les idéaux promus et le fait colonial auxquels ils ont été liés.

Le bois, de Jeroen Brouwers : d'autres expériences du camp
Jeroen Brouwers © Michiel Hendryckx/CC

Le soliloque disloqué de Jeroen Brouwers

Jeroen Brouwers est mort en 2022, si bien qu’il est tentant de lire Le client E. Busken comme un récit testamentaire ou autobiographique. Le livre est un fleuve, un long monologue intérieur émanant de la conscience d’un homme âgé, abîmé par l’alcool et la cigarette qui lui sont interdits depuis qu’il est enfermé dans l’unité sécurisé de la Maison Madeleine. Alors il enrage, observe, se souvient, délire, rit, se rebelle. Dans quelle mesure est-il le double de Jeroen Brouwers, Néerlandais né en 1940 à Batavia (Djakarta), personnage, polémiste, « grand écrivain », etc. ? À cette question nous ne répondrons pas vraiment, préférant insister sur d’autres aspects.

Lucas Cranach l'Ancien Judith avec la tête de Holopherne
Lucas Cranach l’Ancien Judith avec la tête de Holopherne (Musée de Kassel) © CC 0/Wikipedia

Regarder voir

Que se passe-t-il devant le tableau, la photographie, l’œuvre d’art contemporaine ? Laurent Jenny revient inlassablement à cette interrogation que l’observation des œuvres renouvelle toujours. La folie du regard est une étape de ce parcours critique érudit. Comme dans ses précédents ouvrages, à travers des analyses se dessine un certain rapport aux images, celui d’un savant se méfiant du trop de savoir. On retrouve avec une vraie joie la voix de l’auteur : jamais péremptoire, et unique, comme seule l’est celle des écrivains.

Contribuez à l’indépendance de notre espace critique
Couverture de l'île noire, Les îles noires d'Hergé de Schuurman
© Éditions Castermann

Il y a encore des choses à dire sur Tintin

Les îles noires d’Hergé de Ludwig Schuurman a une qualité évidente : démontrer clairement que dans l’univers des tintinophiles de tous poils, il y a encore des choses à dire. Son travail passionnant sur les différentes versions de l’album où l’on découvre l’infâme Docteur Müller, le gorille Ranko et les habitants taiseux de Kiltoch, ouvre des pistes sur la genèse de l’œuvre du dessinateur, la manière dont on la lit et rappelle que la bande dessinée est un art comme les autres.

L’Amérique, ça n’est pas rien !

Absolutely Nothing est la relation d’un voyage par la route à l’automne 2016 à travers les États-Unis, d’ouest en est, entrepris par Giorgio Vasta. Ce carnet de voyage décrit une expérience vécue intense, documentée par les photos de Fazel, que l’écrivain italien reconstitue sous la forme d’une succession non chronologique d’instantanés de lieux pour inventer une sorte d’anthropologie négative .

Le cas Nietzsche 

Avec ce sixième tome de la Correspondance de Nietzsche, voici la fin de la traduction française de la monumentale édition de Colli et Montinari. Et aussi la fin du penseur lui-même. Après deux volumes, la traduction de ses centaines de lettres avait été suspendue durant une vingtaine d’années. Remercions notre ami Jean Lacoste de l’avoir menée à son terme. Grâce à lui est enfin couverte la petite quinzaine d’années durant lesquelles le porte-parole du cercle wagnérien devint Nietzsche.

« Ne pas grandir » : entretien avec Michel Valensi

Avec Patricia Farazzi, Michel Valensi a fondé les Éditions de l’éclat en 1985. Depuis, quelques centaines de titres parus ont construit un catalogue parmi les plus mystérieux et intrigants, qui, de la poésie à la philosophie analytique, de témoignages militants à la mystique médiévale juive, semble prêt à tout interpeller. EaN a longuement interrogé Michel Valensi pour déplier cette histoire de livres, d’éditions et de marges.

Consultez le premier volet du numéro :