La bêtise n’est pas plus bête que nous
Comme on l’a souvent remarqué, il y a quelque arrogance à traiter de la bêtise, parce que cela rompt la règle de bienséance qui voudrait qu’on se dise pas plus bête qu’un autre : même si nous traitons les autres de cons à longueur de journée, de quel droit le faisons-nous ? Mais, comme on le verra dans ce hors-série, beaucoup d’auteurs adoptent la modestie, et confessent volontiers leur propre bêtise, voire la revendiquent.
Traiter de la bêtise est également bête parce que banal, quasiment vulgaire, voire lassant : combien de livres, de revues, de numéros de magazines, y compris littéraires, n’en ont pas traité ? La littérature, la philosophie, le théâtre, le cinéma, la peinture et la musique même, ne cessent d’en parler, de l’illustrer et de la représenter : Érasme, Molière, Pope, Swift, Voltaire, Jean-Paul, Baudelaire, Flaubert, Bloy, Valéry, Musil, Satie, Johnny Rotten, Jeff Koons… C’est un thème universel, un pont aux ânes, si l’on peut dire. Il y a des dizaines de livres sur la bêtise, et l’essai sur la bêtise est devenu un genre en soi, produisant au minimum plusieurs volumes par an, des bêtisiers et sottisiers, reprenant le thème érasmien de l’éloge de la bêtise, celui de la Dunciade, ou prétendant la regarder, comme le pion Le Bouillon dans Les aventures du Petit Nicolas, « bien dans les yeux», pour nous mirer en elle.
Bien que nous emboîtions de nombreux pas, nous avons essayé ici d’éviter de traiter de la bêtise sous des formes habituelles. Nous confessons donc une dose de snobisme (autre forme de bêtise). C’est pourquoi on ne trouvera pas, notamment, d’article sur Flaubert : il aurait été un peu bête de chercher à apporter du nouveau sur ce sujet. Mais nous n’avons pas non plus cherché à être originaux, car par définition sur ce sujet on ne peut pas l’être. On retrouve donc dans ce dossier quelques figures centrales de la littérature sur la bêtise, mais aussi quelques incursions dans des chemins de traverse : un voyage à Cambrai, des poèmes, des odes, des nouvelles.
Il manque, il est vrai, bien des choses à ce dossier, notamment sur la bêtise dans le monde politique et social, qui produit, grâce à l’extraordinaire pouvoir des bien nommés « réseaux sociaux », la désormais fameuse foutaise. Mais pour celles-ci, pas besoin de dossier, puisqu’elles sont partout, comme l’air qu’on est supposé respirer.
Pascal Engel
Les raisons d’une domination
Bêtes à croquer
Noms d’oiseaux
Souvent, les « noms d’oiseaux » ou d’autres animaux servent d’instruments à l’inhumanité. Mais les bêtes, ânes bâtés ou merlans frits, sont-elles vraiment bêtes ?
Les parias nombreux de l’intelligence
La bêtise artificielle
Ode à la stupidité
Entretien avec Alain Roger
Une philosophie de la bêtise est-elle possible ? Oui, répond Alain Roger, précisément parce qu’elle ne se définit pas aisément : ni l’erreur, ni l’irrationnalité ne suffisent à la circonscrire. Dans un entretien avec EaN, il l’envisage plutôt comme un excès de la raison.
Flannery O’Connor : la bêtise et la grâce
Dans le Sud arriéré et raciste des États-Unis que décrit Flannery O’Connor les personnages sont naturellement bêtes. Mais certains, très paradoxalement – les fanatiques, les forcenés, les idiots criminels – ont au moins la vertu de souffrir du « manque de Dieu ».
L’erreur de Grégoire
L’école est le premier théâtre de la bêtise, sa scène primitive. De l’entrée en classe de Charles Bovary au Petit chose et au Petit Nicolas, l’école distribue ses bonnets d’âne aux cancres et ses prix, tout aussi bêtes, aux premiers de la classe. Ne parle-t-on pas de bêtes à concours ?
Avant-projet pour un dictionnaire uninominal
On pourrait consacrer un dictionnaire entier au mot con. Omniprésent dans la langue française et dans nos conversations, il porte une certaine unicité culturelle et linguistique. En somme, le con synthétiserait l’esprit français !
De la bêtise en philosophie
Être philosophe n’immunise pas de la bêtise. Pour preuve la manière béate dont la France reçoit la philosophie allemande, l’aveuglement pour les engagements et les fondements de la pensée d’Heidegger et le mépris dans lequel ce dernier tient les penseurs et la langue française.
Des bêtises contre la bêtise
La bêtise en voyage
Un écrivain bête
Une bête de sexe ?
Anthologie portable de la bêtise chez Barthes
Gombrowicz : l’idiotie contre la bêtise
Lettre ouverte à la bêtise
Peut-on écrire à la bêtise ? Faut-il la vouvoyer et garder ses distances, ou la tutoyer familièrement ? Est-elle capable de nous entendre ? Sommes-nous capables de la comprendre ? Pourrait-on même être désaccord avec elle ? Elle, en tous cas, est toujours d’accord avec nous.
« Méchant con » est-il un oxymore ?
De Néron à Amin Dada et à Trump, en passant par Trujillo et les Duvalier, la figure du con ubuesque domine l’histoire. Il y a bien des imbéciles gentils, et des méchants intelligents. Mais partout où le con est cruel, la connerie domine les pics comme les bas-fonds de l’esprit.