Au fil de l’eau
L’été est désormais bien avancé : c’est la saison des bains de mer, de lac, de rivière et de piscine. On se baigne, on plonge, on barbote, on se trempe entre deux bains de soleil, et parfois, plus mystérieusement, et à condition d’avoir appris, on nage. C’est ce verbe, « nager », qui a retenu l’attention d’En attendant Nadeau pour son dossier d’été.
Qui ne se souvient, en effet, d’avoir (plus ou moins) appris à nager, de la « grenouille », des séances de piscine scolaires, et d’adultes mimant la nage, bien au sec, sur le bord d’un bassin ? Qui n’a jamais rêvé de rejoindre telle île ou tel bord « à la nage » ? Qui n’a médité les risques (réels ou fantasmés) de la nage, et ne s’est émerveillé de son corps fendant l’eau ? Qui n’a regardé avec envie ou incompréhension les gestes étranges du « papillon », l’une des quatre disciplines olympiques ? Mais sait-on que la Fédération japonaise de natation a, quant à elle, homologué 132 nages ?
Se feront écho, au cours de cinq livraisons, des approches historiques, sociologiques, techniques, artistiques, philosophiques, littéraires, ainsi que des proses et poèmes d’écrivains – que nous remercions d’avoir répondu à notre invitation. Enfin, un feuilleton en cinq épisodes pleins d’aventures et de péripéties bibliographiques montrera la richesse du thème dans la littérature, le cinéma et la chanson. Où l’on découvrira que nager est une entreprise encyclopédique.
Les articles de ces cinq livraisons qui paraissent du 13 juillet au 10 août feront découvrir au lecteur, nous l’espérons, les merveilles des divers « psychismes hydrants » (l’expression est de Gaston Bachelard) et les innombrables manières humaines d’entrer dans l’eau, de s’y mouvoir, de l’aimer (ou non).
Claude Grimal et Claire Paulian
Pour ouvrir son hors-série d’été, EaN a choisi le beau poème de Derek Mahon. Cette première livraison propose quelques considérations sur les « traversées » et les compétitions de natation par Luce Madrigal. Philippe Mengue et Pierre Patrolin disent ce que nager leur inspire, tandis que Christian Derouet nous apprend que les peintures aux titres aquatiques de Fernand Léger ont peu à voir avec un amour du peintre pour la nage.
À la nage (1/5)
EaN vous propose un feuilleton en cinq volets recensant des œuvres inspirées par la nage : ce premier épisode se consacre à la nouvelle et au récit court, deux formes qui aiment parler de nage, font de l’épisode de la baignade un élément central ou périphérique, mené sous des auspices érotiques, hédonistes, tragiques ou fantastiques.
Premières Manche
Parmi les milliers de défis natatoires proposés à travers le monde, la traversée de la Manche, qui implique de nager sans combinaison pendant plus de six heures dans une eau à 15°, est un grand classique : 600 personnes la tentent chaque année.
En mer d’Irlande
Le poète irlandais Derek Mahon (1941-2020) s’est toujours intéressé à la mer, au rivage, à la nage. EaN présente la traduction française et l’original d’un de ses plus beaux poèmes sur ces thèmes : « A Swim in Co. Wicklow ».
Un peu de tenue : le costume de bain
Des premiers nageurs nus ou en pagne aux combinaisons modernes en polyuréthane, en passant par le bikini inventé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale par l’ingénieur Louis Réard, l’évolution du costume de bain a accompagné celle de la société, du textile, des rapports entre hommes et femmes et du cinéma.
K.O. aux J.O.
Mahamat-Saleh Haroun s’inspire de l’histoire du nageur équatoguinéen Éric Moussambani, dont la participation aux J.O. de Sidney est restée dans les mémoires. Les culs-reptiles porte autant sur l’apprentissage désespéré de la natation que sur l’état désespérant d’un pays.
Hymne à la nage
À quoi pense-t-on quand on se dit : « Chouette, c’est l’été, on va nager » ? Le philosophe Philippe Mengue, auteur de Marcher, courir, nager, développe sa vision de la nage comme « service divin », permettant, loin des chronomètres et des lignes de piscine, la célébration d’un « corps de glisse ».
Les plongeurs de Fernand Léger
Contrairement à son ami Le Corbusier, Fernand Léger ne savait pas nager. Ce qui ne l’a pas empêché de peindre une série de « Plongeurs » entre 1942 et 1943, alors qu’il se trouvait en exil à New York. Mais pourquoi a-t-il été soudain attiré par ce thème aquatique, et que recouvrait-il donc ?
Apprendre et savoir nager
La France métropolitaine se traverse en deux heures d’avion, six à huit heures de train, une longue journée de voiture. Et à la nage ? Pierre Patrolin, auteur en 2012 de La traversée de la France à la nage, évoque pour ce hors-série estival d’En attendant Nadeau l’étrangeté de ce mode de voyage.
Cette deuxième livraison se penche sur l’histoire et la technique de la natation, avec une présentation de la première piscine de Paris par Thierry Terret et un éclairage de Didier Chollet sur ce « sport de glisse ». Marie Étienne se souvient d’un nageur, Thomas Clerc compare mer et piscine ; quelques réflexions sur les noyés littéraires et les sauvés des eaux complètent cette escapade aquatique.
Château-Landon, première piscine de Paris
Lorsqu’elle est inaugurée, en 1884, la piscine Château-Landon apparaît comme un véritable temple de l’hygiène sociale et populaire. Très différente des établissements de bain qui existaient jusqu’alors, elle témoigne d’une nouvelle manière d’appréhender le milieu aquatique.
L’eau double
« Quand j’arrive à la piscine, je me dis : “j’en ai pour une demi-heure”. Quand j’arrive devant la mer, je me dis : “une vie n’y suffirait pas” ». L’écrivain Thomas Clerc compare ses habitudes à la mer et en piscine.
La natation, sport de glisse
La natation est aussi une activité qui s’analyse scientifiquement. Didier Chollet, spécialiste de l’approche scientifique de la natation sportive, apporte la vision professionnelle du sport à propos des quatre nages olympiques.
La piscine municipale
Les piscines sont très présentes dans les autofictions de Constance Debré : dans Play Boy, Love Me Tender et Nom, elles constituent en effet l’un des rares points d’attache de la narratrice. Mais comment l’écrivaine fait-elle de la piscine l’un des lieux où le « je » éprouve son rapport au monde, et, implicitement, trouve son écriture ?
La ballade du hardi plongeur
Publié en 1798, mis en musique par Schubert vers 1815, « Le plongeur » est l’une des ballades les plus célèbres de Schiller. Un poème tragique qui appelle plusieurs interprétations : souligne-t-il la sottise et la nécessité de l’hubris, la folie du courage et la beauté de la témérité, ou la curiosité de l’explorateur des abysses ?
Les noyés et les sauvés
La littérature est riche en noyés célèbres : Ophélie, la « petite fiancée d’Hamlet », Camille, le mari de Thérèse Raquin, Martin Eden, suicidé dans le Pacifique… Autant de disparitions riches en significations. En attendant Nadeau présente quelques-uns de ces cas, et leurs miroirs inversés : quatre personnages sauvés des eaux.
Maylis de Kerangal explore « l’aventure d’un premier contact » avec l’eau et Georges-Arthur Goldschmidt la joie de découvrir la nage à la Libération. Paul Bernard-Nouraud propose la première partie d’un article sur le malaise de la représentation de la nage dans les hommages artistiques aux migrants. EaN effectue un passage par l’Antiquité, le romantisme anglais et les refuges sous-marins du cinéaste Wes Anderson. Éric Chevillard évoque sa possible noyade tandis que Fabien Camporelli s’intéresse à l’histoire d’une figure des bains : le maitre-nageur.
L’indienne
Pendant l’Occupation, « se promener et nager devenaient presque des activités coupables. La Libération fut cette grande délivrance qui rendait le corps à la disposition du paysage. » Georges-Arthur Goldschmidt se souvient d’une session de nage indienne au lac de la Cavettaz, face au Mont-Blanc, en septembre 1945.
Antoinette flotte
« Antoinette exécute les gestes demandés, mais son visage n’exprime ni l’étonnement ni le plaisir, seulement la panique des sens. La modification de la pesanteur surtout la terrorise » Maylis de Kerangal évoque l’univers sensoriel et émotif d’une première entrée, à l’âge adulte, dans l’eau.
Baigneurs et « sommersi »
Paul Bernard-Nouraud joue du contraste des perspectives pour mettre en évidence la difficulté de l’art, qui ne peut se substituer au bon vouloir politique, à prendre en charge la représentation des naufrages de migrants. Dans cette première partie, il souligne qu’entre les figures de baigneurs et celles des sommersi (les enfouis de Dante ou les naufragés de Primo Levi), les nageurs ont peu de place dans l’art moderne.
À la nage (3/5)
Après deux volets consacrés aux récits courts et aux poèmes, le troisième épisode de notre feuilleton « À la nage » sélectionne onze « eautobiographies », mémoires, et essais où la nage devient pensée, thérapie, fusion, métamorphose, mysticisme, hédonisme, activité politique ou scientifique…
« Swimmingly » : nager à l’anglaise
Le romantisme anglais se raconte communément depuis la terre ferme, ou à partir des cimes montagneuses. L’ascension, le panorama, le vertige, en sont les modalités de choix. Mais il existe un romantisme liquide, incarné par Byron et Swinburne.
Les refuges sous-marins de Wes Anderson
Depuis la piscine dans laquelle barbote Luke Wilson dans Bottle Rocket jusqu’aux canaux d’Ennui-sur-Blasé dans The French Dispatch, en passant bien sûr par le pseudo-Cousteau de La vie aquatique, le cinéma de Wes Anderson ne manque pas d’eau. Pascal Engel nous fait plonger dans ses films, et les relie à la tradition stoïcienne.
Baignades surveillées
Ulysse et son voile
Ulysse dans l’eau… c’est la mort qui le guette. Il y échappe, non grâce à la nage, mais grâce à un voile, selon un thème qui parcourt l’Odyssée dans son ensemble : l’alternance entre couverture et découverte.
Ma noyade
Paul Morand, Globe swimmer
Quatrième volet de notre dossier d’été : Christian Prigent et Pierre Senges racontent leurs bonheurs et malheurs aquatiques ; Éric Auzoux nous emmène au Bengale sur la trace de nageuses déterminées, et Benoît Hachet observe « l’ordre des bassins ». L’art n’est pas oublié, avec une présentation de quelques peintures de Leonardo Cremonini, mais aussi avec la deuxième partie de l’article de Paul Bernard-Nouraud sur la difficile représentation des naufrages de migrants.
Les nageurs de Leonardo Cremonini, en double aveugle
Dans les tableaux de Leonardo Cremonini (1925-2010), les nageurs sont réduits à leurs corps. Comme ils n’ont pas de visages, nous ne pouvons pas voir leurs regards : en introduisant cette distance, le peintre italien souhaiterait-il nous immerger dans le silence ?
L’ordre des bassins
Suivant le modèle américain, les bassins des piscines françaises ont été divisés en couloirs à partir du début des années 1990. Depuis, chacun doit choisir sa ligne pour faire ses longueurs : une place qui révèle bien davantage que le niveau de natation du pratiquant.
Nageuses bengalies
Les bibliothèques à la nage
Dans Moby-Dick, Ismaël a « traversé à la nage bien des bibliothèques » ; comme Melville, qui maitrise son vocabulaire maritime… La littérature peut ainsi vous apprendre à nager sans vous mouiller les pieds.
À la nage (4/5)
Avec Bourvil ou Anne Sylvestre, Étienne Daho ou Oldelaf, ce quatrième épisode du feuilleton de notre hors-série estival rappelle en dix rengaines que nager peut aussi se chanter, souvent avec un certain humour sur les rives de France.
À ceux qui ne savent pas nager
Piscines privées
C’est l’une des conséquences de la fuite vers les banlieues entamée au cœur des années 1950 : l’essor de la piscine privée aux États-Unis, qui a pris une partie de la place réservée aux impeccables pelouses. Et qui agit comme un révélateur des basculements du statut social.
Kafka sur la plage
« Comme sont éloignés de moi par exemple les muscles des bras » : cette phrase lue dans le Journal de Kafka, placée en exergue de son livre, incite Chantal Thomas à tenir un Journal de nage, entre juin et fin août 2021, dans lequel elle croise aussi Morand, Flaubert, Deville.
Méditation aux Trois-Moutons
« En bas, le ciel s’inverse dans les flaques : le monde, dont moi, bascule. […] Le lointain est en haut, le proche s’enfonce en bas. » Christian Prigent propose des observations pré-natatoires, immergées dans une expérience du visible comme nage.
Cette dernière livraison de notre hors-série d’été met l’Antiquité et la littérature à l’honneur avec une étude du rapport à l’eau de l’Iliade et de l’Odyssée proposée par Pierre Judet de la Combe. EaN voyage avec Yuko Ito et Catriona Seth du Japon à l’Hellespont, et se demande s’il est possible de nager sur les planches de théâtre. Maurice Mourier et Hugo Pradelle offrent leurs impressions de la nage et une poète, Anne Portugal, clôt ce dossier d’été ouvert sur un poème de Derek Mahon.
Nihon eiho : l’héritage des samouraïs
La Fédération japonaise de natation recense 132 nages, classées en treize traditions distinctes. Autant de techniques natatoires inventées au tournant du XVIe siècle, période de conflits entre les clans féodaux, et qui ont permis de former des champions se distinguant au cours des compétitions internationales.
Sillages mythologiques
La mémoire des traversées et des nageurs est inégale. Catriona Seth nous raconte comment Byron, impressionné par le personnage mythologique de Léandre, traversa à son tour l’Hellespont à la nage et organisa sa propre légende.
Les nageurs imaginaires
Sur la scène d’un théâtre, on marche, on court, on saute, on tombe, parfois de haut, on glisse d’un toboggan, on rampe ou l’on roule. On se meut de mille manières mais on y nage peu.
La mer n’est pas calme
L’eau n’est pas très sympathique pour les Grecs anciens : sombre, fourbe, insaisissable, elle change tout le temps. Chez Homère, elle punit le plus souvent et, parfois, elle lave et délasse.
Cinq clichés
« Et s’il est ici le baigneur rayé / se trouvant là debout devant la vague / je vais compter les intervalles à sa suite » : Anne Portugal nous livre l’expérience d’une nage qui enlève formellement du monde.
À la nage (5/5)
Après les récits courts, la poésie, les « eautobiographies » et les chansons, le cinquième et dernier volet de notre feuilleton de l’été rappelle qu’on nage et qu’on plonge souvent au cinéma, pour diverses raisons.
Le nageur empoissonné
« Ils ont été cuits dans une eau si froide qu’ils furent changés en poissons » : cette sentence latine (dont l’origine est incertaine) conduit à regarder les activités aquatiques sous leurs angles théologique et sportif.
Ne pas nager
Un Français sur six ou sept, selon les sources, ne sait pas nager ou nage très mal : pour celui-ci, la nage convoque un imaginaire contraire, dissonant, altéré, évoque des expériences radicalement différentes.