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Journal de la littérature, des idées et des arts 21/02 – 05/03 2024

En attendant Nadeau

Luc Boltanski Comment s'invente la sociologie, Arnaud Esquerre et Jeanne Lazarus
Jeremy Sauzier peignant des silhouettes (Christchurch, Nouvelle Zélande) © CC BY-SA 2.0/Jocelyn Kinghorn/Flickr

Comment s’invente Luc Boltanski

Un numéro de revue, une réédition et un dialogue avec deux autres sociologues composent l’actualité de Luc Boltanski qui, depuis 1960, n’a cessé d’élargir les vues de sa discipline. À la fois théoricien vagabond, philosophe et linguiste, il suscite toujours autant de surprises par sa liberté de ton et son inquiétude.

Éditorial

Quand lira-t-on l’histoire de ce 21 février 2024 ? Des débats importants, auquel notre journal prend part, accompagnent l’hommage rendu au Panthéon aux Francs Tireurs et Partisans — Main d’Œuvre Immigrée (FTP-MOI) arrêtés par la police française et assassinés par l’armée allemande il y a 80 ans exactement. Ils mettent en pleine lumière la participation à la résistance armée de ceux que le régime de Vichy avait transformés en les plus désarmés, les plus vulnérables : des étrangers, des juifs vivant traqués mais refusant cette assignation.

Sommaire

Alain Le Rille
L’onde et La particule. Le cas Louis d. B.
par Martino Lo Bue
Le Questionnaire de Bolaño : Gaëlle Obiégly
par Emmanuel Bouju
LECTURE DU JOUR
Dialogues du Louvre Pierre Schneider
© CC BY-SA 2.0/Hernán Piñera/Flickr

Écouter les peintres regarder

Dans les années 1960, Pierre Schneider s’est promené dans les salles du Louvre avec onze grands peintres. Il a ensuite retranscrit leurs réactions, leurs paroles, leurs gestes, leurs silences, leurs enthousiasmes, leurs réticences…  Une expérience unique restituée dans un livre passionnant qui n’a pas pris une ride. 
Subsidence, Camille Ammoun
Vue de la mer aux abords de Raouché (Beyrouth) © Noame Toumiat

La ville affaissée

Les dérèglements écologiques et les catastrophes deviennent de plus en plus les personnages d’œuvres littéraires ou cinématographiques. Subsidence, brève nouvelle de Camille Ammoun, dont la réflexion s’ancre dans son expérience libanaise, s’inscrit dans ce genre littéraire.
Anna Enquist Demolition
Boule de destruction © CC BY-SA 2.0/Rich Anderson/Flickr

De la musique avant toute chose

L’écrivaine et psychanalyste néerlandaise Anna Enquist nous propose un roman savamment construit, alternant les moments du passé traumatique et du présent inquiet de son héroïne. L’ouvrage se lit comme un polar dont on tourne les pages avec fébrilité, ou comme le récit d’une analyse.
"Écrire a créé un ordre dans ma vie" : entretien avec Russell Banks
Russell Banks © Jean-Luc Bertini

L’œuvre à nu

Si l’on retrouve dans les deux derniers romans de Russell Banks tous ses thèmes habituels, ils sont mis en scène dans des récits incroyablement composés qui interrogent l’écrivain sur ce qu’il est et ce qu’il peut. Testamentaires, distanciés, réflexifs, ardus, ils parachèvent une œuvre lucide et courageuse.
Eric Ambler, Le masque de Dimitrios
Un bar à Istanbul (Turquie, 2015) © CC BY 2.0/Boris Thaser/Flickr

Embrouilles sur le Bosphore

Avec la réédition, dans une belle traduction, du Masque de Dimitrios, on redécouvre le formidable talent d’Eric Ambler. Un écrivain de très grande qualité auquel nous consacrons la nouvelle livraison de notre chronique « Suspense ».
Sylvie Laurent capital et race
Les couvertures de « La presse coloniale illustrée » durant les années 1930 insistent sur le développement de l’industrie coloniale (octobre 1925)(Détail) © Gallica / BnF

Le monstre de la plantation

Qu’est-ce qui a pu justifier l’esclavage ? Selon Sylvie Laurent, c’est une hydre à deux têtes : le capitalisme et le racisme, nés ensemble dans l’économie des plantations et qui ont prospéré conjointement. Très instructif, son livre souffre seulement d’une concentration trop exclusive sur les États-Unis et le racisme anti-Noirs.
Ferdinand von Saar, histoire d'une enfant de vienne
Caricature de Koystrand  » La bouquetière viennoise » (Vienne, 1903) (Détail) © Domaine public

Juste avant Freud

Qui en France connait Ferdinand von Saar, celui que l’on a appelé longtemps le « Maupassant viennois » ? Bien peu de lecteurs ont lu, faute de traductions, une œuvre d’une grande finesse qui, avant les découvertes de la psychanalyse, ouvrait la voie aux livres de Zweig, Schnitzler ou Roth… 
Violaine Huisman Les monuments de Paris
Violaine Huisman dans la bibliothèque de son père © Laura Brunelliere

Généalogie passionnelle

Sous le titre un peu trompeur Les monuments de Paris, Violaine Huisman plonge dans son ascendance. Dans le prolongement de son premier roman autour de sa mère bipolaire, elle évoque avec émotion les figures de son père et et de son grand-père. Un « roman » émouvant et subtil qui associe l’intime le plus douloureux aux vicissitudes de l’Histoire.
"Avant l’Escaut" de Franck Venaille
Hôtel Caballero, dans « Avant l’Escaut » de Franck Venaille © Atelier Contemporain

Venaille, retour amont

Avant l’Escaut rassemble les dix premiers livres de « poésies & proses » de Franck Venaille. On lit ces textes, connus ou introuvables, avec une grande émotion. Une plongée dans plus de vingt ans de création qui forgent la langue sensible de l’un des grands poètes de notre époque. 
Sébastien Roché, François Rabaté, La police contre la rue Envoyez la Brav-M sur les imbéciles, Arié Alimi, L’État hors-la-loi,
Escadron de police lors d’une manifestation (Paris) © Jean-Luc Bertini

Les violences d’État entre police et justice

De nombreux livres abordent aujourd’hui la question des violences d’État en France, qui ne cesse d’animer le débat politique et médiatique. On peut y lire notamment que l’usage d’armes non létales mais provoquant de graves blessures a marqué un tournant dans l’histoire du maintien de l’ordre. Ou encore que les violences policières résonnent fortement avec l’histoire coloniale française.
Arnaud-Dominique Houte, Citoyens policiers. Une autre histoire de la sécurité publique en France, de la garde nationale aux voisins vigilants
Panneau « Voisins vigilants » à Saint-André-de-Bâgé (2016) © CC-BY-SA-4.0/Chabe01/WikiCommons

À vos milices, citoyens !

Dans Citoyens policiers, Arnaud-Dominique Houte aborde d’une manière très originale les rapports entre police et population. Il montre que la police, en France comme dans d’autres pays d’Europe, n’a pas été seulement une affaire de professionnels et que l’État s’est efforcé depuis la Révolution d’endiguer cette concurrence.

Menteur en série

Dans L’homme aux mille visages Sonia Kronlund enquête sur un mythomane pathologique et sur l’effet de ses mensonges sur les femmes autour de lui. Déployant une grande empathie, elle nous confronte à la nature profonde de la vérité.

Noirceurs abyssales

Les abysses réunit deux nouvelles de George Steiner : deux plongées terrifiantes, l’une dans les profondeurs marines, qui sont aussi celles de l’inconscient, l’autre dans le réseau mondial de la drogue. On regrette seulement que ces deux textes ne bénéficient pas d’une édition plus exigeante.

Une vie de violence

Francis Bacon fascine les écrivains. Figure iconique inépuisable, il inspire un roman à Maylis Besserie et un roman graphique au duo Franck Maubert-Stéphane Manel. Ils parviennent à saisir quelque chose du génie du peintre et à créer des univers troublants et envoûtants, à la hauteur de son œuvre.
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Jón Kalman Stefánsson Mon sous marin jaune
Jón Kalman Stefánsson (2021) © Jean-Luc Bertini

La magie blanche de Stefánsson

Dans Mon sous-marin jaune, Jón Kalman Stefánsson se penche avec tendresse sur l’enfant qu’il fut. Jouant avec l’autobiographie, l’écrivain islandais se montre un romancier fraternel et nous offre un véritable remède contre la mélancolie.
Schéma de la 3e filature, datant probablement d’octobre 1943 © Archives de la préfecture de Police de Paris

Derrière l’Affiche rouge

Accompagné de son épouse Mélinée, Missak Manouchian entre aujourd’hui au Panthéon. Plusieurs livres et une exposition rappellent l’histoire des fusillés du 21 février 1944 et la participation des étrangers à la Résistance, qui pour certains chercheurs peut être occultée par la célébration d’un seul nom.
Rachilde La tour d'amour
Rachilde (Marguerite Eymery) (1899) © Domaine public

Rachilde furiosa

La reparution de trois romans de Rachilde permet de redécouvrir cette autrice qui se présentait comme homme de lettres et fonda avec son époux les éditions du Mercure de France. L’intérêt ? Se plonger dans une écriture abondante, souvent fantaisiste, qui fait une place centrale aux questions de genre et de classe et constitue une mémoire pour notre temps.
Emmanuel Venet Contrefeu
Cathédrale Saint-Maurice (Angers (Maine-et-Loire) © CC BY 2.0/Daniel Jolivet/Flickr

La contrainte du feu

Les vingt-cinq brefs chapitres du roman d’Emmanuel Venet, Contrefeu, sont centrés sur quelques-uns des habitants d’une petite ville dont la cathédrale a brûlé un 15 avril. Critique féroce de la vie de province, récit stendhalien en diable, pastiche virtuose, c’est un livre qui sait, chose rare, à la fois être grave et faire rire.
Pascal Quignard, Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour
Goutte © CC BY-SA 2.0/Jean-Raphaël Guillaumin/Flickr

De la gravité en littérature

La lecture récente des Heures heureuses de Pascal Quignard était émerveillante. Quelques mois après, la parution des Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour pousse à s’interroger sur sa reprise, malgré une érudition virtuose, d’autres textes qui, quant à eux, marquent nos imaginaires en profondeur. 
Gaelle Obiégly : Sans valeur : Le marché de l'ordure
Gaëlle Obiégly (septembre 2022) © Jean-Luc Bertini

Le marché de l’ordure

Sous la forme d’un essai autobiographique, Sans valeur propose une écriture forte, qui dépersonnalise pour approcher une vérité enfouie. Gaëlle Obiégly poursuit sa réflexion sur la valeur des choses en se demandant ce qui différencie les déchets des archives.
Álvaro Lapa pour le Questionnaire Bolaño de Gaëlle Obiégly
Álvaro Lapa, Sans titre © CC BY 2.0/Pedro Ribeiro Simões/Flickr

Le Questionnaire de Bolaño : Gaëlle Obiégly

En attendant Nadeau propose régulièrement son « Questionnaire de Bolaño » inspiré par la dernière interview de l’écrivain chilien. Au tour de Gaëlle Obiégly d’y répondre avec sa fantaisie profonde. 

Responsabilité au secret

La lecture du premier séminaire que Derrida a consacré, à partir de l’automne 1991, aux « questions de responsabilité » est une expérience passionnante. En liant secret et  responsabilité à travers la lecture de Melville, Poe et James, de l’Abraham de Kierkegaard, d’une confrontation renouvelée entre Freud et Heidegger, Derrida fait apparaître l’inconsistance du concept « courant » de responsabilité.

Enterrement dans les Balkans

En racontant les tribulations d’une famille revenue au village pour enterrer une vieille tante et se disputer son héritage,  Sladjana Nina Perković signe une satire sociale truculente sur la Bosnie contemporaine. Dans le fossé est un premier roman très drôle, et bien plus dense qu’il n’y paraît.

De Trump à Poutine, les mauvaises surprises de l’Histoire

Qu’il s’agisse de la guerre du Donbass il y a dix ans ans ou de l’invasion de l’Ukraine par la Russie il y a deux ans exactement ce 24 février, nous n’avons pas vu venir les événements qui manquent maintenant de faire chavirer le monde. Timothy Snyder dénonce notre incapacité à tirer les leçons du passé, tandis que Sylvie Kaufmann pointe la léthargie des Occidentaux manipulés par Poutine.
Consultez le premier volet du numéro :