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Journal de la littérature, des idées et des arts 04/10 – 17/10 2023

En attendant Nadeau

Deleuze, Sur la peinture
« Trois études pour un auto-portrait », Francis Bacon (1967)(Détail 3) © CC BY 2.0/cea+/Flickr

Deleuze : quand « l’œil broute la surface »

La question picturale traverse toute la pensée de Gilles Deleuze. La publication par David Lapoujade du cours que le philosophe consacra au printemps 1981 à la peinture, en témoigne avec éclat. Il nous rappelle qu’elle a selon lui partie liée avec la catastrophe, elle-même inséparable d’une naissance, celle de la couleur.

Éditorial

Croire en ce monde

« Le fait moderne, c’est que nous ne croyons plus en ce monde. » cette phrase de Gilles Deleuze extraite de L’image-temps, rapportée par Paul Bernard-Nouraud dans son article consacré à la parution des cours du philosophe sur la peinture résonne aujourd’hui de manière troublante. Comment croire en effet aujourd’hui en ce monde ? Pourtant, « [n]ous avons besoin d’une éthique ou d’une foi, ce qui fait rire les idiots ; ce n’est pas un besoin de croire à autre chose, mais un besoin de croire à ce monde-ci, dont les idiots font partie. » poursuit Deleuze.

Sommaire

Peter Sloterdijk
Le remords de Prométhée. Du don du feu à la destruction mondiale par le feu
par Pauline Hachette
Arthur Dreyfus
La troisième main
par Hugo Pradelle
Robert Seethaler, Le café sans nom
Robert Seethaler ©Urban Zintel

À Vienne, on ne fait pas que valser

Perplexes devant le changement, inquiets de ne pas y trouver leur place, les personnages que Robert Seethaler met en scène dans Le café sans nom frôlent parfois le désespoir. Mais l’envie qu’ils ont de se laisser surprendre jusqu’au bout par le spectacle du monde et de ceux qui l’habitent finit par l’emporter.
"Centennial Certificate MMA", Robert Rauschenberg Gertrude Stein
« Centennial Certificate MMA », Robert Rauschenberg (1969) © Metropolitan Museum of Art

Gertrude Stein et Pablo Picasso : ressemblances et répétitions

Une exposition traitant de la relation entre Gertrude Stein (1874-1946) et Pablo Picasso (1881-1973) ? Pas exactement. Ou pas seulement. Le rayonnement de l’œuvre de l’écrivaine américaine s’ancre dans sa reconnaissance d’une « ressemblance » entre ce qui se joue avec le cubisme de Picasso et ce qu’elle a poursuivi en littérature.
© Benoit Laureau

Les langues de l’Ogre : entretien avec Benoit Laureau

Benoit Laureau a fondé en 2015 les éditions de l’Ogre avec Aurélien Blanchard. Répondant aux questions de Jeanne Bacharach et de Pierre Tenne, il décrit pour En attendant Nadeau son métier d’éditeur et sa conception de la littérature.
Stig Dagerman
Stig Dagerman (1947) © Sune Stigsjöö/Europe

Stig Dagerman, à la lueur du centenaire

À l’occasion du centenaire de la naissance de Stig Dagerman (1923-1954), la revue Europe consacre à l’écrivain suédois un important dossier, qui comprend notamment deux poèmes inédits où se fait jour une écriture fragile, belle et sensible.
Anouche Kunth, Tentatives d'effacement
Mariam veuve Lulédjian, née Markarian, cinquante-huit ans en 1931, « complètement abandonnée, vit de la charité de ses voisins ». FROFPRA, OA004_0311 (détail)

L’art du dépouillement

Dans Au bord de l’effacement, livre déjà remarqué aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois, Anouche Kunth adopte une approche sensible au sort des exilés arméniens après 1920 en traquant les « incidents d’écriture » dans les archives de l’OFPRA.
La troisième main, Arthur Dreyfus
« Planche anatomique du corps humain », Andrew Fyfe © CC0/Qasim Zafar/Flickr

Un magnifique canard boiteux

La troisième main d’Arthur Dreyfus est un livre assez effarant et pour tout dire paradoxal. À la fois agaçant et jouissif, disharmonieux et addictif, on y découvre une sorte d’épopée qui oscille entre loufoquerie picaresque et métaphore sérieuse. L’écrivain y revient sur ses obsessions – l’histoire, la mémoire, la sexualité, les normes… – et fait de la figure du monstre, de la difformité, une sorte d’esthétique du débordement et de l’audace.

Sergio González Rodríguez, Les 43 d'Iguala
Manifestation à Iguala pour les « Les 43 d’Iguala » © Editions de L’Ogre

Sergio González Rodríguez, chroniqueur et voyant    

Qu’est-ce donc qu’un crime atroce ? Dans son dernier livre, Sergio González Rodríguez (1950-2017) dénonce la version officielle du massacre des 43 étudiants qui disparaissaient la nuit du 26 septembre 2014 dans l’État de Guerrero au Mexique. A Iguala, c’est toute l’ignominie du monde contemporain qui se reflète.

"Vivre sans produire. L’insoutenable légèreté des penseurs du vivant", Alexandra Bidet et Vincent Rigoulet © Éditions du Croquant,
« Foret vierge au soleil couchant », Henri Rousseau (1910) © CC0/WikiCommons

Que pensent les penseurs du vivant ?

En s’appuyant sur la lecture critique de trois livres récents, la sociologue Alexandra Bidet et le professeur des écoles Vincent Rigoulet dénoncent trois travers des penseurs du vivant : ils caricaturent la modernité, occultent la production et souhaitent changer les manières de voir plutôt que les manières de faire.
James Bridle, Toutes les intelligences du monde
Physarum polycephalum (Organisme unicellulaire) © CC-BY-SA-3.0/ Bill Sheehan/WikiCommons

Un cabinet de curiosités contemporain 

Toutes les intelligences du monde, le nouveau livre traduit de l’écrivain britannique James Bridle, séduit par la description qu’il propose des avancées des technologies émergentes. L’analyse critique n’est malheureusement qu’à peine ébauchée.
Le remords de Prométhée. Du don du feu à la destruction mondiale par le feu Peter Sloterdijk incendies
Point de feu ©CC BY 2.0/Andreas Kretschmer/Flickr

L’humanité incendiaire, et après

Dans Le remords de Prométhée, en grande partie tiré d’une conférence, le philosophe allemand Peter Sloterdijk déroule une histoire de notre humanité centrée sur ses usages de la pyrotechnie. Il défend, sans tout à fait convaincre, un pragmatisme écologique social-démocrate.
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Et toujours à la Une du numéro 181

Nicole Lapierre, le plus menteur d'entre nous Portrait
« Transparence (Deux têtes) », Francis Picabia (1935) ©CC BY 2.0/Cea+/Flickr

Un créateur permanent  

Dans Le plus menteur d’entre nous, Nicole Lapierre se souvient d’un ami mort à l’âge de quarante-quatre ans, un être aimé de tous pour sa fantaisie, sa gentillesse et son charme. Un être que, pour mieux le comprendre, elle emmène dans la littérature en s’appuyant sur le prénom qu’il s’est attribué lui-même : Ulysses.
Kevin Lambert | Que notre joie demeure.
Antwerp port house, Zaha Hadid © CC BY 2.0/Bobo Boom/Flickr

Le roman gentrifié

Solidement architecturé, le troisième roman de Kevin Lambert, Que notre joie demeure, substitue à la verve des deux précédents une fermeté narrative toute neuve. Il dresse le portrait d’une cheffe d’entreprise impitoyable qui est aussi une artiste tourmentée.
Bachir Bashir, Goldberg Holocaust and Nakba
« Girl with Balloons », Banksy, Palestine Segregation Wall (2005) © CC BY 2.0/Sharon Mollerus/Flickr

Deux moments de la même histoire

Un ouvrage collectif, non traduit en français, met en relation les traumatismes que l’Holocauste et la Nakba ont respectivement infligés aux Juifs et aux Palestiniens. Ce travail exemplaire relance l’espoir qu’un dialogue puisse se poursuivre.
Fabrice Langrognet | Voisins de passage. Une microhistoire des migrations. Préface de Nancy Green. La Découverte,
La Plaine Saint-Denis, rue Trézel. Carte postale Viard, 1919 © Archives municipales de Saint-Denis

La Plaine-Saint-Denis, mode d’emploi

Fabrice Langrognet s’est consacré à l’étude de l’histoire d’un immeuble de La Plaine-Saint-Denis, entre 1882 et 1932, faisant flèche de tout bois pour retrouver la moindre trace de ses habitants et pour éclairer ainsi, à partir d’un point d’observation inédit, l’histoire des migrations.
Pablo NERUDA, Résider sur la terre, Oeuvres choisies
« A Isla Negra en 1953 » © Archives Fundación Pablo Neruda « photo issue du Quarto Pablo Neruda Résider sur la terre – éditions Gallimard »

Neruda, siempre presente !

Pablo Neruda disait écrire pour ne pas mourir. Cinquante ans après sa mort, le volume Résider sur la terre réunit un grand nombre de ses œuvres. Sa poésie, qui se voulait destinée à tous, a fait du Chili une partie indissociable du monde contemporain.
Mathias Enard | Déserter.
Mathias Enard © Jean-Luc Bertini

Europe furieuse

Déserter, le nouveau roman de Mathias Enard, d’une écriture somptueuse et poétique, alterne l’histoire d’un soldat en rupture d’une guerre contemporaine et celle d’un mathématicien allemand, de la montée du nazisme jusqu’à l’effondrement des États communistes.
Leș chaînes sans fin Yves Pagès
« Escalator » © CC BY-NC 2.0/Tony Wilkinson/Flickr

Ce que le tapis roulant fait à l’homme

En proposant l’histoire du tapis roulant, Yves Pagès montre que cet appareil a été à de nombreuses reprises conçu comme un moyen d’oppression et non d’émancipation. Les salles de gymnastique d’aujourd’hui sont, de ce point de vue, les héritières des prisons et des usines de jadis.
Jean-Philippe Toussaint, L'échiquier
Street art par Difuz Joker (Butte aux cailles) © Sirîne Poirier

Un roi à l’abri

Réflexion sur l’écriture, le nouveau roman de Jean-Philippe Toussaint est avant tout un récit autobiographique. Les soixante-quatre chapitres ou fragments qui le composent sont autant de déplacements des pièces noires ou blanches sur l’échiquier.
Nicolas Duvoux | L’avenir confisqué. Inégalités de temps vécu, classe sociales et patrimoine
« L’avenir confisqué. Inégalités de temps vécu, classe sociales et patrimoine », de Nicolas Duvoux (Détail) © PUF

Retrouver le sens des inégalités

Dans un contexte où les données économiques saturent le débat public sur les inégalités, l’ouvrage de Nicolas Duvoux offre une perspective originale et salutaire : il vient utilement rappeler que les différences sociales ne sauraient se réduire à des écarts de rémunération ou de patrimoine mais qu’elles engagent plus fondamentalement diverses capacités de se projeter dans le temps et de s’approprier l’avenir.
Ingo Schulze | De braves et honnêtes meurtriers
« Contenu Fermé Discutant Dans La Couleur Invisible », de Anouk Kruithof (2009) ©CC BY-NC-SA 2.0/Rémi de Valenciennes/Flickr

Bienvenue au Leseland

Le héros du nouveau roman d’Ingo Schulze, De braves et honnêtes meurtriers, dévore ce que d’autres ont écrit et ne fait confiance qu’aux livres. C’est aux lecteurs que le grand romancier de l’ex-RDA confie les clés du récit : il fait d’eux les seuls véritables gardiens de la littérature.

Les êtres sans contours

The Visitants est un roman polyphonique inspiré d’un voyage de l’auteur aux îles Trobriand, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, dans les années 1950. Randolph Stow y évoque des événements qui mêlent des Australiens blancs et des Papous dans un récit étonnant. Le mot « visitants » du titre peut vouloir dire « visiteurs » aussi bien que « êtres surnaturels » : de quoi intriguer le lecteur !

Ardenne lointaine

Le plus court chemin, selon Antoine Wauters, c’est l’écriture. Une écriture précise et ductile, dense et vivace, qui nomme, désigne, sauve, et permet de revenir à l’essence même de l’enfance. Et même plus loin encore, au-delà ou en deçà des choses.

Proust double-face

Dans Proust, roman familial, Laure Murat ausculte la très haute aristocratie dont elle est issue à travers le prisme de La Recherche du temps perdu. En sublimant ce milieu tout en le rabaissant, l’œuvre de Proust l’a sauvée d’un enfermement douloureux et oppressant.

L’écriture crève-la-faim

Sans jamais s’apitoyer sur son sort, Franck Courtès raconte, dans À pied d’œuvre, sa vie d’écrivain très pauvre. C’est un livre courageux, écrit dans l’adversité du quotidien, de la fatigue, des souffrances. C’est un récit qui sait aussi se transformer parfois en brûlot

Le Questionnaire de Bolaño : Yoko Tawada

En attendant Nadeau poursuit son « Questionnaire de Bolaño », du nom du dernier entretien donné par l’écrivain chilien à la veille de sa mort. Après Enrique Vila-Matas, Jakuta Alikavozic et Pierre Senges, c’est au tour de Yoko Tawada, dont l’œuvre passe de l’allemand au japonais, d’y être invitée.

Un amour et un secret

Le nouveau roman de Sylvain Prudhomme, L’enfant dans le taxi, est un récit d’une beauté simple et lumineuse dans lequel il est question de la fin d’un amour et de la révélation d’un secret de famille, deux événements qui ne sont liés que par la manière dont le narrateur les entrelace.
Consultez le deuxième volet du numéro :