Un oubli important

L’ouvrage publié sous la direction de Patrick Faugeras, psychanalyste et traducteur, a déjà fait l’objet d’un bel article de Michel Minard dans le numéro 49 de notre journal. Si je me permets d’y revenir, c’est que ce livre collectif me paraît avoir fait silence sur un point capital de la question, et que ce silence, cette impasse, ce non-dit, n’a pas été relevé par Michel Minard.

Rappelons pour mémoire que les contributeurs de L’intime désaccord se demandent pourquoi, connaissant le parti le meilleur, l’approuvant, l’individu choisit le plus souvent le pire, pour reprendre la formule d’Ovide dans les Métamorphoses. Ce qui pourrait également se formuler ainsi : « Pourquoi les hommes combattent-ils pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut ? », formule qui cette fois vient de Spinoza et de son Traité théologico-politique.

Philosophes, historiens, sociologues, psychiatres, psychanalystes surtout, tentent de répondre, chacun à leur manière et selon leur spécialité, à une question qui intéresse aussi bien le champ politique, l’histoire et en particulier l’histoire contemporaine et la Shoah que celui de la psychiatrie, du travail en usine, etc. Si l’on garde à l’esprit, comme le rappelle Christophe Chaperot dans sa communication, que « le consentement n’est jamais entier, il est le fruit d’une négociation le plus souvent inconsciente et secrète » et qu’il « est un conflit », on peut regretter que ne figure dans aucun de ces textes une réflexion sur ce qu’est la sexualité et en particulier la sexualité féminine, modelée de longue date par des sociétés où le pouvoir est masculin. Dans ces conditions, les femmes ne peuvent (ne pouvaient ?) qu’attendre le désir des hommes avant d’y céder, avec toutes les nuances et les gradations que peut prendre le consentement ; ou même trouver du plaisir dans la violence qui leur est faite.

Or, en dehors de Laura Pigozzi qui aborde la question par le biais des femmes violées ou battues ou des enfants qu’elle nomme otages : « Mais pourquoi restent-ils ? », se demande-t-elle, aucun, parmi les contributeurs, n’a songé à se risquer sur un territoire encore peu exploré – ce qui est un comble de la part de psychanalystes semble-t-il d’obédience freudienne et lacanienne. Une telle impasse est surprenante mais elle ne fait que corroborer celle des discours et des mouvements actuels, dans lesquels, certes, comme on le dit et l’écrit et le clame sur tous les tons, la parole des femmes se libère, mais où nul ne paraît s’interroger sur la complexité des comportements dès lors qu’il s’agit de la libido. Quand la psychanalyse mais aussi l’histoire, la littérature, la philosophie nous feront-elles le cadeau d’une réflexion profonde et subtile qui ne reculera pas devant les contradictions et peut-être même les peurs et les hontes qui peuvent naître d’un tel sujet ? Lequel est primordial pour comprendre un peu, non seulement la guerre des sexes, mais la guerre en général. Le mal.

Marie Étienne